On ne lézarde pas au travail ! [PV : Gaëlle]

Nous sommes mardi aujourd'hui. Et qui dit mardi, dit journée emmerd*nte à la mairie ! Avec des obligations à remplir, des tâches à effectuer... Enfin surtout pour les autres, moi je reste assis sur mon siège de bureau et je glande pendant ce temps ! J'en profite pour faire appel à ma créativité, c'est ça l'avantage. Et je parviens même à oublier mon anxiété et mes pensées noires. Que des effets bénéfiques ! Le seul bémol est Gaëlle. Elle a une sainte horreur des tire-au-flan et je peux toujours compter sur elle pour me pourrir la journée ! Dans ce domaine, c'est la championne toutes catégories confondues !

Pas de différences notoires sur mon rituel matinal. Je me suis levé, lavé, habillé d’une chemise blanche et d’un costume noir. Pas de cravate aujourd’hui. J'ai fais une trentaine de pompes. Je me suis taillé la barbe la veille. Un peu de parfum de chez Hugo Boss et me voilà sorti.

Mon casque audio sur les oreilles, je me rendis sur mon lieu de travail dans ma voiture flambant neuve. Pour le parcmètre, ils iront se faire voir parce que de toute façon, il ne fonctionne même pas leur machin ! Je pénétrai donc dans le bâtiment, gravis les marches des escaliers en saluant brièvement au passage mes collègues. Tout cela sur « Come and Get Your Love » de Redbone, un morceau que j’apprécie particulièrement. Impassiblement, je traversai les couloirs qui menaient à mon bureau. Je franchis la porte, balançai ma mallette au pied du fauteuil, me laissai tomber dans celui-ci et chantonnai avec fougue le refrain entrainant de cette chanson, me servant de la lampe halogène du bureau comme micro. J’étais enthousiaste jusqu’à ce que Victor Peltier, un de mes collègues aussi ringard qu’invivable, se la ramène dans mon bureau dans toute sa splendeur !  

- Hey Mantis ! Arrête de te toucher la nouille et bouge, gars ! On va fumer dehors !
- Sans moi. Je suis occupé, Peltier.
- Laisse-moi deviner… Tes rendez-vous quotidiens avec tapoufdu93 ?
- Haha, très drôle.

Tellement que je t’imagine à poil pendu par les pieds devant le personnel de cette mairie, gros lard. Vire de mon bureau avant de contaminer mon oxygène avec ta crasse ! Le p*tain d’énergumène parti, j’ôtai mon casque de mes oreilles et décidai de réaliser un château avec le jeu de cartes que j’avais déniché dans mon tiroir. J’entrepris rapidement de débuter la construction. Sauf qu’ici, on n’est jamais à l’abri d’un appel téléphonique !

- Mairie de XXXX, j’écoute… Non, Madame Blanchard, je ne vous ferai aucun brushing puisque je ne suis pas votre coiffeur… Puisque je vous dis que vous vous êtes encore trompé de numéro… C’est ça, c’est ça… Au revoir, Madame Blanchard !

Quelle cinglée. Les personnes de cette ville ont toutes une case en moins, dixit le gars qui sniffe de l'essence ! Je raccrochai. Je vais peut être enfin obtenir de la tranquillité dans ce monde de fous. Après quelques secondes, je parvins à faire les premiers étages. J’y suis presque ! Puis la porte qui s’ouvre soudainement, faisant trembler les murs, le sol et le plafond de la mairie et derrière, une furie… Une furie qui vient d’anéantir MON superbe château de cartes !

J'ai une sainte horreur de la pluie. Or, aujourd'hui est une journée magnifique... Je plaisante juste. Il pleut des cordes et je me vénère d'avoir pensé à prendre un parapluie. Le seul profit que je peux tirer de ce sale temps, c'est de voir Gaëlle dans tous ses états ! J’éprouve un plaisir dénaturé à analyser les différentes nuances qui circulent sur son visage fané : la colère, la haine… Cette vieille peau s’empourpre si facilement ! Elle a encore de la ressource et j’apprécie. Je me fais tellement ch*er dans ce trou à rat, il faut bien que je me divertisse avec les moyens du bord ! Et ce château de cartes, c’était un moyen du bord ! Mais à présent, le voilà ébranlé – sans le « é » c’est un verbe qui me plait bien –  ébranlé à cause d’une épave bonne à jeter à le décharge ! « Bien sûr que tu me déranges grognasse, quelle question ! » Rien que ce petit sourire insolent sur ses lèvres me met hors de moi ! Mais, je vais la jouer cool et posé comme d’habitude. C’est moi le meneur du jeu, pas de faux pas. J’avais été assez réactif pour baisser l’écran de mon ordinateur portable à temps. Inutile qu’elle ramène son popotin er tombe sur des sites… indécents…

- Pas le moins du monde, Mada-demoiselle Dutronc ! Dis-je en me levant de mon siège avec un sourire des plus mielleux, ma main droite appuyée sur l’ordinateur fermé. Je défiais simplement les lois de la gravité ! Vous comprenez, Newton, tout ça… Bref, c’est une boutade en réalité, on s’en moque ! Ajoutai-je en jetant, d’un revers de manche, les cartes dans la corbeille à côté.

Je m’emparai de la bouteille d’eau sur mon support de travail, bu quelques gorgées puis la reposai au même endroit. Eau ? C’est vite dit. Je ne dis jamais "non" pour du Martini !

- Je vous en prie, asseyez-vous. Fis-je en désignant la chaise en face de mon bureau. Je suppose qu’il y a une chose qui vous tracasse... A moins que ce ne soit qu'une simple visite de courtoisie !

Courtoisie ? Avec Gaëlle ? Je parviens à me faire rire tout seul ! Je commençai à parcourir de long en large la pièce, centrant par moment mon attention sur des dossiers empilé sur des étagères.

- Vous pouvez le constater, je suis un employé modèle. Je ne vois absolument pas ce que l’on pourrait me reprocher. Je ne suis pas dehors en train de fumer ou de boire comme un trou !

J’eus l’air amusé. J'espère que ce gros porc de Peltier s'en prendra plein la figure, si ce n'est pas déjà fait ! Il est tellement bête que c'est une partie de plaisir de le martyriser ! Aussi facile et jouissif que de voler une sucette à un enfant !

- Ah, les jeunes de nos jours…

De tout mon cœur - oui je possède un cœur à ma connaissance - je mourais d'envie de lui faire avaler de force les sachets de thé que j'avais dans mon tiroir mais je préférais me résigner à cette idée. Je la ménageai afin de ne pas ternir mon image, c'est évident. De plus, j'aime trop la camomille pour la gâcher surtout pour des parasites comme Gaëlle. Ce dinosaure ne méritait pas que je pose, ne serais-ce qu'un seul regard sur sa personne. Non mais regardez-moi ça. Il faut croire qu'à la naissance, les infirmiers se sont plantés et lui ont greffé la figure d'un bouledogue ! Cet air pincé la rend encore plus antipathique qu'elle ne l'est déjà et je me demande bien si elle a été heureuse un jour ! Enfin, en matière de sociabilité, je suis plutôt mal placé pour donner la moindre leçon, sachant ce que sont devenues mes dernières fréquentations...

- Ou à moins que vous n’ayez du thé bien entendu.

Je suis un grand amateur de thé, j’ai bien une centaine de sachets de différentes saveurs dans mon bureau mais je les garde pour des personnes « spéciales » à mon goût. J’imagine que Gaëlle est ce que l’on qualifierait d’exception à la règle…

- Du thé à la camomille vous conviendrait-il, Mademoiselle Dutronc ? A moins, bien sûr, que vous ne préfériez du thé vert à la bergamote, c'est un excellent remède contre la vieillesse, vous le saviez ?

Je n’ai pas menti. Le thé vert est célèbre pour ses vertus qui préservent le capital jeunesse. En toute franchise, j’aurai pu être beaucoup plus cru dans mes propos mais lorsqu’il s’agit de Gaëlle, je valorise la carte « hypocrisie ». Après avoir obtenu sa réponse, je sortis deux sachets que je fis infuser dans de l’eau chaude que j’avais soigneusement préparée avec ma bouilloire. Je lui servis ensuite sa tasse et pris la mienne. « Si tu t’étouffais maintenant avec, tu rendrai à cette Terre un immense service ! » D’un autre côté, je ne veux pas d’un cadavre de plus sur le dos, c’est sale, ça pue, je déteste quand ça pue et c’est difficile à faire disparaître…

- Comme vous le savez, je ne fais jamais de visite de courtoisie. J’ai à vous parler. Et à mon grand malheur, pas de votre comportement presque parfait au sein de la Mairie. De toutes manières pour moi, vous faites partie des jeunes. Même si je dois admettre, encore une fois contre mon gré, que vous vous tenez plutôt bien. Pour un jeune je veux dire.

Whaou, c’est Noël aujourd’hui dîtes moi ! Des compliments de la part de Gaëlle ! Tout plein de compliments ! Oui car j’appelle cela des compliments. Si vous aviez à la côtoyer tous les jours, du matin au soir, vous comprendriez.

Puis, elle trouva encore le moyen de rendre ma journée barbante. Comme quoi, le naturel revient au galop. Quel dommage, j’aurai presque trouvé cette entrevue intéressante ! Si seulement elle n’avait pas tout gâché en déballant inepties sur inepties. Blablabla le maire blablabla féliciter les employés blablabla prof de lettre… Je suis englouti par l’ennui ! A ce train là, je vais me tirer une balle avant la fin de la journée !

C’est vrai que je me suis toujours demandé ce que je faisais dans ce coin minable à me tourner les pouces… Je devrai peut être envoyer ma candidature à l’académie, il est clair que j’aurai mes chances là-bas. Bon, voyons voir cette fameuse lettre. Alors que je ne faisais que de commencer à la lire, je sentais déjà mes doigts se crisper sur le papier et ainsi le froisser. Du poisson ? Envoyer une lettre de recommandation à la mairie de sa ville pour du poisson ? Sérieusement ? Existe-t-il une seule personne sensée sur cette maudite Terre ?! L’humanité est-elle perdue à ce point ?! Rhaaa, j’en ai ma claque, allez-vous faire mettre avec vos histoires de cabillauds ou de je-ne-sais trop quoi ! Des plaintes, toujours des plaintes, les gens ne sont jamais contents ! Qu’est-ce qu’elle espère ?! Que nous, nous les petits fonctionnaires qui glandons dans nos bureaux à deux balles, nous allons venir chez elle avec des tenues d’éboueurs pour lui débarrasser de son poisson pourri ?! Que d’un claquement de doigt, nous allons le faire se volatiliser ?! Est-ce que j’ai une tête de Père Noël ?! Est-ce que j’ai une tête à ce qu’on se f*ute de moi ?! Sacrebleu, j’ai besoin d’étriper deux/trois chats là tout de suite ! Et cette victime de Peltier va s’en prendre plein la gu*ule au passage !

- Est-ce que Madame Carlile a eu l’intelligence ou la logique d’en parler aux principaux intéressés, c’est-à-dire aux éboueurs ? répliquai-je en accentuant chaque syllabes, sur le point d’exploser. J'ai déjà donné, désolé... Il y a d'autres employés plus aptes à répondre à ce type de problèmes.

Et mes fesses ne sont pas grosses ! Je ne me sens pas comme ayant pris du poids… J’ai d'ailleurs bien envie d’un burger, tiens...

A l'instar de Gaëlle, je pense que les éboueurs sont des incompétents qui ont vite fait de commettre des erreurs qui nous placent dans des situations embarrassantes, l'incident Carlile est une preuve convaincante de ce que j'avance ! Ce n'est que l'irréfutable vérité. Avec des employés aussi peu investis dans leur travail, c'est à qui de ramasser les pots cassés ? Bingo, aux pigeons de la mairie ! Ce qui conduit à la solution suivante : remplacer tout ce petit monde par des passionnés qui n'attendent que ça de remonter leurs manches, de plonger leur pattes dans les ordures des autres et d'empester à longueur de journée le mélange de poisson pas frais et d'oeuf pourris ! Charmant. Et j'ai déjà une première candidature juste sous mes yeux ! Je devrais soumettre cette idée à Ezra, il en serait ravi...

Les dialogues de Gaëlle s'enchaînaient mais je n'y prêtais pas la moindre attention, comprenant des grognements hargneux plutôt que des mots. En vérité, je préférais constater l'état de mes ongles. Les pauvres sont sacrément abimés, celui du majeur de la main droite est même fendu... Je vais devoir faire appel à une manucure le plus rapidement possible ! Cela m'apprendra à faire des galipettes avec des tigresses... La seule chose qui me tira de ma réflexion fut le renversement "accidentel" du thé sur le dossier. Je savais que j'aurai du prévoir des sous-verres ! Mon bureau de grande qualité est désormais marqué d'auréoles à cause de cette truie !! Et par pur sadisme, elle en rajoute des couches et des couches. Si seulement, je pouvais tenir sa nuque entre mes mains, je vous jure que je... Je prendrais une immense respiration puis j'irais couper des carottes, c'est bon les carottes, c'est plein de vitamines...

Puis ces peigne-c*ls qui sont allés se rincer la gu*ule au lieu de me filer un coup de main ! En voyant Gaëlle débarquer, ils ont battu le record de vitesse en course à pieds ! Ceci est la raison pour laquelle on ne peut compter que sur soi-même. Je suis fatigué d'être si incompris...
Quand je pensais m'être enfin débarrassé de la momie, je la vis revenir, glissant sa tête dans la fente de la porte ouverte. Mon premier réflexe... fut de crier comme une fille (loin d'être viril, je vous l'accorde). J'avais l'envie impitoyable de lui balancer son $&/§@^%# de dossier à la figure mais je n'en eu malheureusement pas le temps, elle s'était envolée. Malgré son départ, je ne parvenais toujours pas à canaliser la rage que je portais au fond de mon coeur. Je portai alors mon dévolu sur la lettre de cette chère Madame Carlile et la déchirai, une expression extatique collé au visage. Ce son du déchirement du papier sonnait tel une délicate mélodie à mes oreilles, j'en aimais chaque notes ! C'était presque une victoire pour moi ! Il aurait été certes meilleur que Gaëlle assiste à ce spectacle mais peu importe, j'aurai ma vengeance un jour ! En attendant, je dois encore régler cet absurde, ennuyant et dégoûtant problème de poisson...

C'est officiel. J'adore mon job.



[FIN DU RP]