Le retour de la crêperie

J'ouvris la porte de l'appartement avec le petit trousseau de clés accroché à un minuscule 7 bleu, un peu mon porte-bonheur. Puis, en priant pour que l'appartement soit en ordre, j'ouvris la porte et sourit à ma compagne pour l'encourager à entrer.
Je me sentais assez dépaysée; j'étais à vrai dire habitée par un curieux mélange entre angoisse - de ne pas plaire, de paraître bizarre ou incongrue - et joie - d'avoir passé une excellente soirée, qui ne touchait pas encore à sa fin. J'avais finalement réussi à payer le dîner à Wendy, non sans une lutte féroce auparavant. Bien que je n'aie qu'à moitié gagné - je me ferai inviter la prochaine fois -, je m'en sentais très fière.
Lorsque j'entrai à mon tour dans le petit deux-pièces, je me rendis compte avec soulagement que l'état de propreté des lieux était tout-à-fait acceptable. Bien sûr, les inévitables vestes et blouses de médecin traînaient dans un coin de la pièce ou sur le dossier d'une chaise, dans l'attente d'un coup de repassage, mais globalement, tout était en ordre. Je désignai à Wendy la petite table encadrée d'un fauteuil et de quelques chaises.

- Assieds-toi, je vais chercher quelque chose à boire.

Et ce disant, je me dirigeai vers la partie de la pièce faisant office de cuisine, depuis laquelle j'ouvris la porte du réfrigérateur. Et là, hélas, je me rendis compte qu'il était bien temps d'aller faire les courses. Un morceau de fromage se battait en duel avec un reste de salade, et dans la porte une bouteille de jus de pomme à moitié vide semblait chercher son chemin. Je n'aurai pas grand-chose à lui proposer.

- Euh... Tu veux du thé ? Ou un alcool peut-être ? Au pire, j'ai du jus de pomme !

Je me servis quant à moi une tasse de thé vert. Eh oui, encore. Je revins dans la pièce à vivre avec les boissons et m'installai. Je vis aussitôt arriver les deux soldats de la maison, qui grimpèrent sur la table basse, piétinant sans état d'âme le petit saladier de monster munch - goût jambon fromage, pour le raffinement - que j'avais amoureusement posé là pour l'occasion.
L'un resta sur la table et l'autre, intrigué par mon hôte, décida d'aller explorer la terre inconnue que constituait ses genoux.
J'eus un regard d'excuse vers Wendy et lui dit, l'air coupable:

- Euh... J'espère que tu n'es pas allergique aux furets...

On entra dans la maison de Gwen. Quoi que le mot maison pour définir l'appartement de Gwen était plutôt un euphémisme. Mais d'un point de vue sentimentale, c'était sa maison, son chez elle. La où elle peut se se réfugier. Son appartement était chaleureux. Chaleureux, ce fut le premier mot qui vint a l'esprit de Wendy quand elle rentra dans l'appartement. Il n'était pas des plus grand mais l'on se sentait rapidement a l'aise.
D'ailleurs, se fut la première consigne que donna Gwen a Wendy.
Il y avait un fauteuil et plusieurs chaises. La jeune femme préféra s'assoir sur une chaise pour que Gwen puisse bénéficier du fauteuil. Elle partit dans la cuisine pendant que Wendy se dévêtît pour se mettre a l'aise. Surtout que lorsque l'on a une doudoune, il est plutôt conseillée de l'enlever en rentrant dans une pièce. Gwen demanda a Wendy ce qu'elle voulait comme boisson.

-Oh ! Tu as du jus de pomme ?! Je t'en prendrais bien un verre s'il te plait.

Gwen revint, en même temps que deux petits invites sur pattes qui s'approchèrent rapidement de la nouvelle venue. Gwen un peu gêné demanda a Wendy si elle était allergique au furet. Wendy ricana gentiment.

-De toute façon, même si j'étais allergique au furet, je te l'aurais sûrement dis avant. Et même, maintenant c'est trop tard.
Dis, tu crois qu'ils m'aiment bien ?

La jeune femme essaya de gratter la tête d'un des furets, mais ils bougeaient trop vite, elle s'amusait avec eux. Sans grande gène.

-Tu les a depuis combien de temps ?

Wendy s'était assise sur une chaise, aussi, par un mimétisme imposé par les quelques rudiments d'éducation de bonne famille que mon père avait réussi à mettre dans ma tête, je délaissai moi aussi le fauteuil. Mon invitée paraissait ravie du jus de pomme que je lui servais, et j'en étais soulagée.

Elle jouait avec les furets, qui ne se faisaient pas prier pour gigoter dans tous les sens. Ce n'est pas commun d'avoir des furets comme animaux domestiques, et j'en étais bien consciente. Heureusement, la jeune femme aux cheveux roses paraissait s'en accommoder sans difficulté aucune.

- Ils ont l'air de bien s'amuser en tout cas. Fais attention avec ton verre, ils vont vouloir se mettre dedans dès qu'il sera vide.

Ils s'amusaient à éviter ses mains, faisant preuve d'une vivacité qui tranchait avec leur habituel flegme. Les deux furets sur ses genoux dansaient dans tous les sens. L'un poussa d'ailleurs brusquement son confrère pour disposer de plus de place sur les genoux de mon invitée, provoquant une dispute... animale. Ils ne jugèrent bien évidemment pas nécessaire de changer de lieu pour libérer l'espace vital de Wendy, tentant de s'écraser mutuellement.

- Oh, ils se sont vite habitués à toi dis donc... Je les ai depuis quelques années maintenant. Ah, je n'arrive pas à me souvenir de ma vie d'avant sans eux. Ils sont encore assez jeunes.

Elle n'avait pas d'animal de compagnie... Oh, peut-être que cette visite de mes deux boules de poils allaient lui en donner l'envie. Ah, mais il aurait fallu qu'elle convainque aussi notre maire et sa fille, vu qu'ils faisaient habitation commune.

- Tu sais, tu n'imagines pas ce que tu manques en vivant sans animal domestique. Ils m'en apprennent tous les jours, et puis je ne sais pas ce que je ferais sans eux.

Je souris avec sincérité. Ces deux furets étaient mes compagnons, et je tenais plus à eux qu'à la plupart des humains de mon entourage.

Ainsi donc, Wendy avait connu les joies de la compagnie animale ! Eh bien, comme ça, elle savait ce que je pouvais ressentir pour mes deux furets. Alors que je les couvait d'un regard affectueux, le regard du furet brun tomba sur le verre vide de mon hôte, précautionneusement posé loin d'elle sur la table. Ni une ni deux, il quitta la joute engagée contre son partenaire et sauta pattes jointes dans le verre vide.
S'y roulant en boule - et laissant des poils partout sur les parois de verre -, il se roula dedans et tenta de lécher les restes de jus de pomme. Sa fourrure, auparavant soyeuse et épaisse, était maintenant toute mouillée et rebroussée sur son corps. Son partenaire, jaloux, se précipita sur le verre, mais celui-ci était déjà occupé. Il se résolut donc à attendre au-dessus de son partenaire, à l'extérieur du verre, lui bloquant toute issue.

- Tekila, laisse-le sortir ! Enfin, vous avez pas fini de faire les imbéciles. Devant une invité en plus !

J'attrapai le furet du dessus et le verre d'où son partenaire tentait vainement de sortir. Je l'en tirai, non sans me mouiller la main. Vodka déguerpit sur la table, se remettant à rôder autour de Wendy. Tekila préféra se lover contre mes genoux, et je le caressai avec affection pendant qu'il roulait sur le dos.

- Je connais un peu les bergers allemands. Ils sont tout patauds quand ils sont jeunes, mais après ils sont assez encombrant. Tu devais vivre dans une grande maison ? D'ailleurs, tu ne m'as pas parlé de ta famille. Ils ont bien voulu te laisser partir pour venir en France ?

Je la regardai avec intérêt, tout en caressant le furet ronronnant sur mes genoux. Vodka venait d'investir le pied gauche de Wendy, tentant de se glisser dans un mince espace - bien trop étroit pour lui - entre la chaussure de la jeune femme et son pied.

[ He ! He ! Vodka, c'est celui que l'autre voulait pas laisser sortir, donc qui était au fond, et qui vient sur ton pied dans ta chaussure ! L'autre a juste le bout des papattes humides, non ? 8D *vengeance* ]

Je vis bien l'expression de Wendy au cours de mon combat acharné contre les mauvaises manières de mes furets: elle retenait un rire. Cela me fit sourire; après tout, ce spectacle bien peu commun devait avoir quelque hilarant attrait.

Lorsque je lui demandai de parler de ses parents, je vis un malaise s'instaurer sur les traits de la jeune femme. Je me mordis la lèvre; je n'avais pas voulu la mettre dans une situation inconfortable. C'était pourtant bien ce que j'avais fait. Ses parents avaient le même prénom, un signe du destin peut-être ? Quoiqu'il en fut, elle m'avoua avec franchise qu'elle n'avait pas l'intention d'en dire plus.

- Ne t'en fais pas, je comprends très bien... ça ne fait rien. Moi aussi j'ai du mal à parler de... certaines choses.

Mon hésitation marquée n'avait pas dû lui échapper, mais après tout, on était quittes. Je ne pensais pas éveiller en elle une curiosité assoiffée. Je ne lui parlais pas de son sujet sensible, elle ne me parlait pas du sien... Voila qui était équitable, non ?

Changeant soudainement de sujet, Wendy décida de s'enquérir de ma passion: le soulagement chez les autres. Être médecin. Je me calai confortablement sur ma chaise et avalai une gorgée du thé chaud avant de lui répondre.

- Tu sais, quand j'ai décidé d'être médecin, je n'imaginais pas trop toutes les facettes de ce métier. Je ne voyais que le soulagement que cela pouvait produire chez les autres. Mais ça représentait un très gros investissement - de longues années d'étude et de travail acharné -, mais j'étais persuadée que c'était ce que je voulais faire. Et je le suis toujours. *marque une pause* Quand j'ai fait ma première opération en bloc, c'était très stressant, mais très galvanisant aussi. ça fait un effet que peu de gens ressentent de se dire: "Sa vie est entre mes mains, tout dépend de moi maintenant." J'avais toujours très peur au début, et peu à peu ça s'est calmé, même si une angoisse sourde reste. C'est comme quand tu fais un spectacle: tu as le trac avant, mais une fois que tu t'es lancée, ça te paraît naturel et tout te vient tout seul. Bien sûr, il n'y a pas que l'opération: il y a aussi après. Quelques fois c'est génial de pouvoir dire à la famille: "Tout s'est bien passé, on vous le rend en un seul morceau !". Ils sont incroyablement soulagés et heureux. Mais d'autres fois, il faut dire aussi "Je suis désolée, il s'est bien battu." Et là, c'est beaucoup plus difficile. *se réinstalle sur la chaise et caresse le furet* En tout cas, je ne changerais de métier pour rien au monde. C'est ma passion.

J'avais les yeux qui brillaient maintenant. Je venais de parler de tout cela avec une grande sincérité. Ce sujet était le seul que je pouvais aborder avec à peu près tout le monde sans réticence. D'une part parce que j'étais très fière de sauver des vies, et d'autre part parce que le sujet était pour moi intarissable. C'était ma vocation.

[ Ooh, des giiiifs *-* *applaudit* ]

Wendy avait l'air fasciné parce que je racontais, et je m'en sentis flattée. Son intérêt s'éveillait au fil de ce que je disais, à tel point qu'elle finit par me demander si elle pouvais m'accompagner un jour pour aider à sauver une vie.
C'était une très belle motivation, et j'étais fière de l'avoir inspirée.

- Tu pourras sûrement venir en bloc avec moi, il faudra juste que j'en parle à mon patron. Tu sais, on reçoit souvent des collégiens stagiaires, alors tu seras la bienvenue. Je ne sais pas si tu pourras aider - j'ai dû travailler d'arrache-pied pendant sept ans avant d'être nommée médecin ! Mais tu pourras venir voir. Mais tu peux très bien sauver des vies autrement qu'en soignant les gens. Tout le monde a besoin d'avoir un médecin, c'est sûr, mais certaines choses ne dépendent pas de nous. Parfois, les patients sont tellement démoralisés et éteints qu'ils se laissent aller sans lutter. *serre les dents* Et c'est toujours un coup dur, parce que je me sens terriblement impuissante à ces moments-là. *caresse la tête de son furet* Si tu veux sauver des vies, Wendy, il faut que tu apportes de la lumière autour de toi. Quelques fois, rien qu'un petit geste d'attention peut rendre quelqu'un heureux. Et ça, c'est aussi merveilleux que de réussir à épargner un patient. *se redresse* En tout cas, si tu as envie, tu peux venir filer un coup de main à l'hôpital. On a toujours besoin de quelqu'un dans la section "enfants" pour jouer avec eux, leur remonter le moral, ou d'autres petites choses de ce genre...

J'ignorais si ma réponse allait satisfaire Wendy. Je venais de lui dire qu'elle ne pourrait malheureusement pas aider en bloc. Mais j'espérais aussi lui avoir fait comprendre qu'une opération, ce n'était pas toujours ce dont les gens avaient besoin. Et parfois, elle était plus qualifiée que moi pour sauver des vies, du fait de sa gentillesse et de son ouverture d'esprit...

Puis vint le temps de parler de mon expérience professionnelle. Mon parcours n'avait rien de spécial, juste un médecin parmi tant d'autres.

- Je ne suis pas là depuis très longtemps. J'ai été embauchée dans cet hôpital à mon arrivée en ville, alors mon ancienneté est assez proche de zéro. Mais je travaille depuis un peu plus longtemps dans le métier, surtout qu'en école de médecine on commence des stages en bloc opératoire dès la troisième année. J'ai l'habitude ! Par contre, niveau stress, c'est toujours difficile à gérer. Le revers de la médaille, je suppose. On a toujours quelque chose à faire. D'ailleurs, je suis obligée de garder mon bippeur sur moi tout le temps, au cas où un patient ait vraiment besoin de moi. Et être réveillée à 4h du matin par un patient malade, c'est souvent très épuisant !

Mais j'en avais assez de parler de moi maintenant. Qu'en était-il du travail de Wendy ? Je m'étais toujours demandée en quoi consistait réellement le métier de secrétaire, et toutes les facettes qu'il comportait.

- Et toi, ça se passe comment ton métier ? Tes horaires, tout ça ? J'ai toujours été curieuse à propos des secrétaires, parce qu'on en parle pas beaucoup mais qu'on en a toujours vraiment besoin.

Peut-être confondais-je secrétaire et assistante, mais je pensais à mon aide qui était toujours là pour me faire un planning et me rappeler à l'ordre quand je cédais à l'oisiveté. Elle me facilitait la vie à un point incroyable.

[ Oooh tu fais varier les couleurs ? ]

Wendy avait l'air sincèrement ému parce que je lui disais. Peut-être cette discussion avait réveillé en elle une facette "sauveuse de vies". Et c'en était tant mieux pour le monde, car je pensais qu'elle avait une réelle capacité pour aider les autres dans leur mental, face à leur passé ou leur façon de penser, probablement due à son aisance avec les autres. Son enthousiasme me toucha au cœur et me fit vraiment plaisir. Maintenant, j'étais persuadée que Wendy était quelqu'un de bien... de vraiment bien. Eh bien, si j'avais raté ce genre de rencontres toute ma vie en me fermant aux autres, j'étais passée à côté de pas mal de choses.

Elle me parla ensuite de son métier. Très intéressée, je me penchai en avant sur ma chaise, faisant grogner le furet dérangé par le mouvement. Elle présentait ses activités comme banales et habituelles, mais elles représentaient pour moi une tâche ardue: je détestais l'organisation des événements, très probablement parce que l'organisation des événements me détestaient. J'étais tout bonnement incapable de planifier des activités de mon propre chef, aussi admirais-je sincèrement toutes les personnes qui faisaient ça tous les jours - exemples: mon assistante, et bien sûr Wendy. Elle vanta également son supérieur, Ezra. à l'entendre, il était vraiment un ange. Wendy avait l'air dure à la tâche car curieuse de tout: elle voulait essayer un peu de chaque chose, refusant sûrement toute routine. Elle avait bien dit: "comme Ezra est un maire généreux je peux vraiment participer". Avoir quelqu'un faisant preuve d'enthousiasme dans la vie professionnel pouvait se révéler très agréable et productif, aussi le maire devait sûrement être heureux de disposer de son aide !

- Tu sais, moi et l'organisation ça fait deux, alors je t'admire vraiment ! Tu es contente de travailler avec Ezra, mais je suis sûre que lui aussi est content de t'avoir en tout cas. Tu as l'air de vraiment bien le connaître, non ? En même temps, tu vis avec lui donc ça doit aider un peu j'imagine ! Pour ça aussi je suis admirative: je n'arriverais jamais à vivre avec un colocataire. Je suis... comment dire...

"Trop timide", est-ce que ça convenait ? Certainement. En tout cas, je ne me sentais pas capable d'avouer cela ! Aussi passai-je à autre chose en espérant que la fin de ma phrase ne se ferait pas trop désirer chez mon interlocutrice.

Ainsi, elle aussi avait eu des problèmes avec Larry, et manifestement plus que moi. Je l'avais simplement rencontré un soir, mais cela m'avait bien suffi.

- Comment ça, il "vient t'embêter" ? Il ne t'a rien fait de mal j'espère...

Qui savait de quoi il était capable. Je me sentais obligée de prévenir Wendy, quand bien même elle ne fut pas déjà au courant. Je commençais l'apprécier de plus en plus, et je ne voulais pas que le fou lui fasse du mal, même si elle avait l'air tout-à-fait capable de se défendre comme je l'avais cu à la soirée du nouvel-an.

- Tu sais, Wendy, sois très prudente avec lui... Il n'est pas, comment dire... normal. Je sais qu'il parait très intéressant et même attirant, mais il ne faut pas se laisser prendre au piège. J'ai peur que qui s'en approche n'en subisse les conséquences...

Je ne pensai même pas qu'elle pouvait se demander que j'en savais, j'étais trop inquiète à l'idée de Larry enroulant ses tentacules malsains autour d'une pauvre personne un peu trop naïve...

Wendy avait l'air assez compréhensive de ma réticence à cohabiter avec autre chose que de flegmatiques furets. Mais elle paraissait malgré tout très satisfaite d'habiter avec ce qui se rapprochait sûrement pour elle le plus d'une famille. Elle m'assura également qu'il n'y avait aucun besoin de séduction entre Ezra et elle.

- Je vois, en fait vous êtes plus comme... des frères et soeurs, c'est ça ? En tout cas, si tu arrives à t'en sortir avec la fille du maire, je maintiens ce que je dis: viens à la section "enfants" ! Quelle âge a-t-elle, d'ailleurs ? En tout cas, tu as l'air proche d'eux. Pour ma part, j'imagine que je ne suis malgré tout pas prête à avoir quelque chose d'approchant une famille... *pensive* J'imagine qu'il faut attendre le bon moment.

Elle me parla ensuite de Larry et me dit que jamais il ne lui avait rien fait. Apparemment, elle sentait qu'il y avait anguille sous roche avec ce beau garçon, mais elle ne le considérait que comme un vilain garçon avec un côté occulte un peu inquiétant. Elle paraissait loin de ressentir la terreur glaciale qui saisissait mes veines et figeait ma respiration rien qu'à son évocation. Cependant, il n'avait pas l'air de vouloir l'embêter; tant mieux. Je me demandais tout de même de quels amis parlait, s'ils étaient comme lui, ou simplement trompés par sa carapace de philanthrope. Quoiqu'il en soit, Wendy se disait assez thérapeute de nature, peut-être bien que cela l'avait aidée... Ah, comme je l'enviais !

- Tu sais, si tu as des affinités avec les autres, profites-en. Ce n'est pas donné à tout le monde !

Je parlais pour moi... Mais elle n'était pas obligée de le savoir ! En tout cas, je trouvais que c'était une raison de plus pour tenter de la recruter dans la section "enfants". Mais si je lui parlais de cela encore une fois, ça allait passer pour du harcèlement ! Il me restait à espérer que son grand coeur lui ouvrirait les portes de l'hôpital.

La conversation s'orienta ensuite de nouveau sur moi. Si je n'avais pas été médecin, qu'est-ce que cela aurait été ?

- Ah, très bonne question. à vrai dire, vu que j'ai toujours été persuadée que la médecine est ma vocation, je ne me suis jamais vraiment intéressée à d'autres filières... Mais j'ai toujours été intéressée par les animaux, comme les chevaux. Je pense que sans la médecine, je serais devenue quelqu'un qui passerait sa vie dans un ranch... *réfléchit un moment avec le sourire à cette idée, puis pense à une toute autre chose et se redresse* Dis-moi, Wendy, est-ce que tu aimes être secrétaire ? En tout cas, si tu aimes encore plus la psychologie, je suis en train de me dire qu'il y a pas mal de facs de psychologie qui pourraient te donner un diplôme pour faire de ça ton métier. Après tout, tu es jeune et tu peux tout-à-fait te reconvertir dans tes études, non ?

Wendy avait vraiment l'air passionné. Elle connaissait le dilemme qu'affrontaient la plupart des gens affrontaient aujourd'hui. Le don d'ubiquité était désiré par tout le monde, mais il n'était à portée de personne.
Tant qu'à faire, autant qu'elle profite de sa vie. Si elle la passait à se décider entre telle et telle profession, elle allait finir par ne plus avoir de temps, une denrée épuisable.

- Tu sais, on n'a qu'une seule vie Wendy ! Pendant que tu es encore jeune, tu devrais essayer un de ces métiers qui te tentent tant. C'est ce que je me dis aussi parfois: il arrive que l'on n'ait qu'une occasion pour faire certaines choses. Des études ça représente un investissement, c'est sûr, mais à long terme on ne regrette pas ! Et je suis bien placée pour te le dire, avec mes sept ans de torture.

Quoiqu'il en fut, sa tirade terminée en queue de poisson me fit rire, secouant le furet sur mes genoux qui s'enfuit non sans me jeter un regard réprobateur.
Je me levai et me dirigeai vers la cuisine pour poser mon verre et celui de Wendy, où restait un fond de jus de pomme agrémenté de quelques poils de furet, pour ma plus grande honte.

En revenant, je m'étirai. La journée touchait à sa fin, et je n'avais pas encore beaucoup travaillé. Je redoutais un appel intempestif de mon bippeur: une journée aussi peu remplie, c'était trop beau pour être vrai.
Je me rassis sur la chaise encore chaude et enlevai mes chaussures pour me mettre plus à l'aise, avant de croiser mes jambes en tailleur sur l'assise.
Je parlai à Wendy tout en entortillant une mèche de mes cheveux. [ Ce tic ne m'appartient pas, je tiens à le préciser pour éviter toute accusation de plagiat ! Je remercie Jack Johnattan pour sa très aimable participation lors de la naissance d'idées dans l'impétueux tourbillonnement que mes pensées ont toujours formé et formeront probablement toujours. Parole de Foldingote. ]

- Dis-moi, Wendy... est-ce que tu crois au coup de foudre ? Je veux dire, le vrai, celui qui est censé te faire chavirer le coeur dès le premier regard. [ Haha, ça, c'est la question piège ! ]

J'étais bien curieuse de connaître la réponse. D'autant plus que Wendy, avait son physique de Miss Univers, devait déjà avoir fait chavirer bien des âmes de la gent masculine...

Wendy paraissait avoir une idée très précise sur le sujet, bien qu'elle eut du mal à l'expliquer. C'était assez surprenant, car elle prenait la chose avec vraiment beaucoup de recul, n'impliquant pas du tout son expérience personnelle... Comme si elle n'était pas concernée de la même manière que tous les hommes et femmes sur terre.
Je comprenais assez bien ce qu'elle voulait dire. Tout dépendait de ce que l'on acceptait de voir et de croire... quand quelque chose que l'on croit impossible arrive sous nos yeux, on a tendance à trouver une explication rationnelle.

- En fait, si, par exemple, je décide que le coup de foudre n'existait pas, alors je ferai sans doute tout pour l'éviter pour me prouver à moi-même que j'ai raison, c'est ça ?

En tout cas, je n'avais jamais pu tomber amoureuse. Parce que pour moi, l'hypocrisie n'existe pas. Cela pourra peut-être vous paraître bizarre, mais j'aurais bien aimé ne pas savoir que les gens me mentaient lorsqu'ils étaient trop gentils et qu'ils avaient une idée bien fixe en tête, qui n'avait aucun rapport avec moi. J'aurais bien aimé, au moins pour un petit temps dans ma vie, me laisser bercer par les illusions que l'on nous sert tous les jours. Pouvoir tomber amoureuse d'un garçon qui en fait était un abruti complet, mais connaître ça.
Parfois, je connaissais les gens mieux qu'eux-même. Tout ce qui ne va pas chez eux me sautait aux yeux. Alors comment pourrai-je jamais me laisser aimer ?
C'était d'ailleurs peut-être une des raisons qui m'avaient poussé à m'ouvrir à Wendy, en dehors du fait que je voulais savoir ce qui clochait chez elle. J'étais incapable de savoir ce qu'elle ressentait, et alors que la peur de l'inconnu aurait du me faire peur, cela m'a intriguée et attirée avec force...

Wendy me posa une question qui ne manqua pas de me déstabiliser: pourquoi lui avais-je demandé ça ? Oh, je n'étais même pas sûre de pouvoir me répondre à moi-même.

- Eh bien , pour être franche, je ne suis pas sûre de pouvoir t'apporter de réponse parce que je la cherche en ce moment même ! Je ne sais pas. Je réfléchis pas mal à tout cela, en ce moment. Je me demande ce que c'est, ce dont tout le monde parle, et à n'importe quel âge. J'ai l'impression que tout le monde sait quelque chose que l'on se refuse à me révéler... alors je fais des petits sondages ! *sourit*

Je passai sous silence le fait qu'elle était la toute première personne à qui je posais cette question, et probablement la dernière.

- Et si l'amour c'était juste un canular ? Quelque chose qu'un bouffon a inventé pour satisfaire son roi, las des histoires de guerre toutes semblables. Tout le monde se serait mis à y croire, et ça aurait formé une gigantesque arnaque... Peut-être qu'en fait, tout le monde attend de ressentir quelque chose, ou se l'imagine, mais que ça n'existe pas. Que ce n'est qu'une manifestation de notre besoin animal de reproduction, besoin que chaque être vivant ressent. Y compris nous...

J'étais assez pensive. Peut-être allait-elle me prendre pour une folle, mais pour ma part, je trouvais que c'était une théorie assez intéressante. [ Merci à "mensonges et trahisons, et plus si affinités !" ]

[ Jolie musique... ça inspire ]



  J'avais la tête baissée pendant que je parlais, aussi ne vis-je pas l'état dans lequel mes paroles l'avaient plongée. Lorsque je relevai la tête, son visage était aussi naturel que d'habitude. Et il m'était impossible de savoir ce que mes paroles avaient causé dans son âme, car elle était spéciale, elle était unique. Je ne pouvais pas sentir.

  La question qu'elle me posa par la suite me fit sourire amèrement. Je n'avais plus qu'à lui répondre ce que lui dirait toute personne pragmatique. Il m'était impossible de lui répondre sincèrement. Et là, comme depuis le début de ma vie, j'étais confrontée à un problème de taille: je ne pouvais laisser personne me connaître. Je me redressai sur mon siège et tentai de prendre un air décontracté, souriant.

- Bah, tu sais, je ne suis jamais tombée amoureuse, alors je ne peux aps savoir ce que ça fait. Dans les livres, on parle des battements de coeur qui s'accélèrent, des bouffées de chaleur, des bégaiements... Moi, je me suis toujours demandé comment on pouvait perdre le contrôle devant quelqu'un alors qu'on était justement censé le séduire ! C'est contre-productif.

Et voila. Une fois de plu de lui mentir éhontément. Alors que je cherchais justement à me faire une amie de Wendy, j'avais l'impression de lui tendre un bâton pour qu'elle me frappe avec... Mais ce n'était pas comme si j'avais eu le choix.

La jeune femme avait demandé à Gwen pourquoi ce sentiment, l’amour, lui était inconnu. Cette dernière lui répondit qu’elle n’était jamais tombée amoureuse. Elle avait même, à ce qu’elle disait, lu des livres sur le sujet. Il faut dire, il y en avait tellement. Comment les gens pouvaient oser faire des tutoriels sur une chose qui ne se contrôle pas. Peut être pour les personnes qui ne savent pas du tout s’y prendre. Mais l’amour, c’est spontané, quand tu as envie de lui faire un câlin, de l’embrasser, de lui tenir la main, tu fonces, car c’est spontané. Tu n’as pas besoin d’une personne qui te guide. Wendy hocha juste la tête alors que Gwen parlait.

-Mais Gwen, tu oublies quelque chose, tu as déjà ressentit de l’amour. Je le sais, j’en suis sûre.

Wendy attendit la réaction de Gwen, allait-elle tout nier ? Lui demander comment elle le savait ? Ne rien dire ? Wendy attendit juste un petit moment pour que les idées de Gwen puissent se mettre en place puis elle dévoila la réponse.

-N’as-tu jamais aimé celle qui t’a mis au monde et qui ta protégé plusieurs années de ta vie ? Ce n’est pas le même amour dont nous parlons, mais nous parlons tout de même d’amour. Il est spontané, car quand tu veux faire un câlin à ta maman, tu n’hésites pas. C’est pareil que l’amour pour son copain. C’est presque la même chose. Tu as envie de partager des choses, de vivre ta vie avec cette personne. C’est ça l’amour. Ce n’est pas un bouffon qui peut le définir, c’est plus que ça. L’amour ne peut pas être contrôlé que par une seule personne. C’est toi qui défini ce que tu veux faire avec l’amour enfoui au fond de toi. Le partagé ou te le garder. C’est très complexe mais en même temps, quelque chose de très simple à la foi. C’est toi qui décide, c’est ton cœur.

Alors que j'étais en train de répondre à sa question, Wendy hocha la tête et me dit sur le ton de la confidence une chose qui me fit bondir intérieurement. "Elle savait" ? Que voulait-elle signifier par là ? Elle ne pouvait pas être au courant de mon don, je n'avais rien laissé échapper, si ?! Ma respiration se bloqua. Je voulais dire quelque chose, nier peut-être, mais ne pas rester là sans rien faire avec un écriteau "coupable" brandi au-dessus de ma tête.
Mais alors que j'étais en train de crever de trouille sur mon siège, Wendy s'expliqua le plus naturellement du monde. Je m'étais inquiétée pour rien. Elle ne pensait pas à ma... particularité en disant ces mots.

Pendant qu'elle parlait, je me laissai étouffer par le soulagement. Je me remis à respirer, et mon cœur ralentit petit à petit, ce qui eut pour effet de me donner l'impression que je me liquéfiais sur place. Je n'avais jamais eu aussi peur pour ma sécurité depuis... que j'avais croisé Larry. Bon sang, je devais être plus prudente. Ce secret que je gardais depuis si longtemps n'était pas prêt à être révélé. Il ne le serait d'ailleurs jamais, si tout se passait bien.
En attendant, ce que disait Wendy me touchait beaucoup. Elle avait l'air de savoir de quoi elle parlait, et elle évoquait une sensation que je connaissais, que j'avais déjà ressentie - moi, et non pas quelqu'un d'extérieur - et qui était selon elle le reflet de l'amour de Cupidon. "C'est presque pareil", disait-elle. Et apparemment, cela dépendait de moi.
J'étais très émue. J'avais déjà ressenti de l'amour, bien sûr, mais il ne venait pas de moi. Il émanait de chez quelqu'un d'autre, et c'était brûlant, comme une passion qui vous dévorait l'intérieur de l'âme. Mais pris avec mon recul, cela m'avait l'air trop puissant pour être durable. Ce n'était qu'une attirance. Et pourtant, Wendy m'affirmait le contraire... Voila de quoi redonner l'espoir, non ?

- C'est moi qui décide... Donc, en quelque sorte, on a tous comme un réservoir d'amour au fond du cœur, et chacun décide de comment le consumer, c'est ça ? Pour certains, il va dormir pour l'éternité. C'est beau ce que tu dis, Wendy. C'est beau et ça fait rêver.

J'étais très sincère en disant cela. Mais j'évitais de parler de moi à présent. Le coup de stress de tout à l'heure m'avait suffi, et je ne voulais pas prendre plus de risques. Il fallait que je me retienne, que j'évite de me confier ainsi à tout-va... Même si c'était difficile.

Je m'étirai et regardai mon bippeur avec un air inquiet. Je ne voulais pas qu'il sonne, et pourtant j'étais presque sûre que ça allait arriver. J'en parlai à Wendy, changeant totalement le sujet de la conversation.

- Tu vois, Wendy, on parlait de mon métier tout-à-l'heure. Eh bien, un des gros inconvénients, c'est qu'on peut être dérangé alors qu'on fait à peu près n'importe quoi. Aujourd'hui, je n'ai pas fait grand-chose, et c'est vraiment exceptionnel. Je suis sûre que ça va me tomber dessus dans pas longtemps.

Je fronçai les sourcils; je n'avais aucune envie de mettre un terme à cette conversation fort intéressante.

Gwen affirma que ce que disait Wendy la faisait rêver, cette dernière sourit. Elle était flattée, sur le coup, elle avait eu un peu peur de trop emballé mais en réfléchissant bien, elle avait dit pile ce qu’il fallait. Un jour, Gwen trouverait chaussure à son pied, elle en était sûre. Sinon elle lui donnerait surement un coup de pouce. Personne depuis son arrivé ne s’était posé des questions sur ces origines. Elle s’était fait un Facebook car la plupart des gens de cette ville en parlait. Puis, comme elle ressentit le besoin de mettre des photos d’elle étant enfant. Il fallait bien. Sinon, on allait lui poser des questions. Elle s’était alors dirigée en voiture vers une autre ville. Chez un pro de la photo qui avait pris quelque chose d’elle et les avait transformés pour que l’on croie qu’elle ait l’air jeune. Elle n’avait plus qu’à les rangé dans l’ordre d’âge et elle pourrait ensuite les posté. Elle n’avait pas encore mis beaucoup de chose sur son compte, presque rien.
Gwen lui parla ensuite de son bippeur. De son travail.

-Oui c’est vrai. Mais c’est un mode de vie que tu as choisi. Je suis sûre que dès que tu as commencé tes études, tu savais qu’il fallait être presque toujours disponible. Peut être que c’était pour comblé un manque dans ta vie, j’en sais rien.

Wendy s’arrêta deux petites secondes et sur un autre ton, elle lui demanda.

-Est-ce que tu ressens la douleur de tes patients ?

Lorsque je lui parlai de mon travail, Wendy me répondit avec justesse que c'était ce que j'avais choisi. Elle n'avait pas tord, je savais à quoi m'attendre en devenant médecin. Mais le jeu en valait la chandelle, et aujourd'hui, je ne regrettais rien.

- Oui, tu as bien raison. Je ne peux pas faire comme si je n'avais jamais su combien les médecins étaient occupés ! Mais ça me plaît. *sourit* Je sais que je n'aurais rien pu faire d'autre, et puis, de toutes manières, chaque métier a un bon et un mauvais côté. Simplement, il faut choisir ce qui nous correspond le plus...

Mais Wendy changea ensuite complètement de ton. Et ce qu'elle me demanda me fit l'effet d'un coup dans la poitrine. Je me redressai d'un coup et avalai ma salive un peu trop bruyamment. Cette question n'avait pas l'air anodin. Elle était trop précise, et aussi trop incongrue pour être prise comme une question normale. Comment savait-elle ?!
Je respirait lentement, profondément, et assez discrètement pour ne pas qu'elle se pose de questions. Peut-être demandait-elle cela par curiosité, afin de voir jusqu'où allait ma conscience professionnelle. Inutile que je déballe tout d'un coup alors qu'elle ne voulait pas du tout parler de la même chose que moi.
Extrêmement mal à l'aise, je répondis en feignant le naturel. J'ignorais absolument si cela allait marcher, mais je pensais m'en sortir plutôt bien. Enfin, je l'espérais.

- Bah, tu sais, c'est un peu pour ça aussi que je suis devenue médecin. ça me faisait mal pour eux, de voir tous ces gens se tordre de douleur... Et je me disais que je pouvais les aider. Enfin, tous les médecins du monde te répondront sûrement la même chose ! *sourit, crispée*

"Non, je ne la ressens pas comme je ressens ma propre douleur, cher Wendy. Vois-tu, mon empathie sur-développée me fait ressentir cela comme un malaise constant, comme une épine dans ton pied. Tu ne te rends vraiment compte combien c'était inconfortable que lorsque tu l'enlèves. Je ressens donc surtout leur soulagement, ce qui est tout à fait normal, n'est-ce pas ? Sinon, tu imagines, aller à l'hôpital, mon lieu de travail, serait pour moi un supplice abominable !"
Décidément, non, parler de cela autour d'une tasse de thé et de quelques biscuits me paraissait définitivement anormal.
Je priais pour que Wendy n'ait pas posé cette question en connaissance de cause... Allez, je me faisais du souci pour rien ! Après tout, comment était-il possible qu'elle soit au courant ?